Crise sanitaire oblige, beaucoup d’entreprises ont différé l’entretien professionnel "récapitulatif", planifié tous les six ans. Or, selon la loi relative à la gestion de la sortie de crise, ce rendez-vous doit bien avoir lieu le 30 juin 2021. La sanction est, elle, reportée au 30 septembre, à savoir un abondement correctif sur le CPF de chaque salarié lésé.

Voilà une nouvelle qui tombe à pic pour les entreprises retardataires : la loi, publiée, le 1er juin au Journal officiel, reporte les sanctions prévues pour l’entretien professionnel "récapitulatif", planifié tous les six ans, au...

30 septembre 2021.

Ce rendez-vous, issu de la loi Avenir professionnel, est toutefois maintenu : il doit avoir lieu avant le 30 juin. Pour l’heure, toutefois, on est loin du compte : un sondage réalisé, en mai dernier, par la CFTC auprès de 300 délégués syndicaux de la confédération chrétienne, atteste de nombreux retards : "90 % ne l’ont pas effectué, alerte Maxime Dumont, secrétaire confédéral de la CFTC, en charge de la formation professionnelle. La tendance est encore plus marquée dans les entreprisses de 50 à 300 salariés".

Et lorsque les entreprises respectent cette obligation, "à peine la moitié d’entre elles se conforme au formalisme demandé, à savoir la traçabilité du document". Ce rendez-vous récapitulatif doit, en effet, être réalisé par écrit.

"Une véritable épée de Damoclès"

Manque de temps, insuffisance ou absence de services RH dans les moyennes structures, difficulté concernant les salariés placés en activité partielle … Les causes sont multiples. "De nombreuses entreprises misaient, en fait, sur un nouveau report compte tenu de la crise sanitaire", observe Sabrina Dougados, avocate associée du cabinet Fromont Briens.

Mais l'obligation d'organiser ces entretiens récapitulatifs a été différée une première fois au 31 décembre 2020 (ordonnance du 1er avril 2020) puis une seconde fois au 30 juin 2021 (ordonnance du 2 décembre 2020). Désormais, le gouvernement a décidé de maintenir la date butoir : tous les salariés ayant six ans d’ancienneté devront donc avoir bénéficié de cet entretien-bilan au plus tard d'ici le 30 juin prochain, en sus de l’entretien bisannuel.

L’occasion de faire le point sur "les perspectives d’évolution professionnelle, notamment en termes de qualification et d’emploi" : bilan des compétences développées, formations réalisées, souhaits d’évolution professionnelle, de mobilité, plan de formation individuel, anticipation des évolutions de l’emploi…

A défaut, les entreprises s’exposent à une sanction financière, à l'exception des sociétés de moins de 50 salariés, à savoir le versement d’un abondement correctif de 3 000 euros sur le compte personnel de formation du salarié lésé.

"Une véritable épée de Damoclès, constate Maxime Dumont qui indique que les délégués syndicaux CFTC seront particulièrement vigilants sur la réalisation de ces entretiens. Les comptes actuellement dotés en moyenne d’environ 3 000 euros se verront ainsi créditer de 6 000 euros, ce qui représente une somme importante pour suivre une vraie formation qualifiante et certifiante".

Reste que le report de la sanction n’est pas toujours lisible pour les entreprises. «D’autant que d’ici à septembre, peu d’entre elles auront la possibilité de rectifier le tir, notamment de faire partir des salariés en formation", prévient le secrétaire confédéral. Qui plus est, en pleine période estivale.

 

Les options pour rattraper le retard

Les entreprises vont-elles jouer le jeu ? Vont-elles provisionner ? Certaines ont opté pour une alternative : la réalisation par un tiers pour tenir les délais. C’est ce qu’a constaté le cabinet conseil Oasys qui réalise ce tête-à-tête pour le compte de grandes entreprises ou des structures de taille moyenne sans process RH structuré.

Autre possibilité : conclure un accord collectif en urgence pour modifier la périodicité des entretiens professionnels. "Les entreprises qui ne justifieraient pas de la réalisation des entretiens avant le 30 juin peuvent prévoir par accord une périodicité plus large, par exemple triennale ou quadriennale, explique Sabrina Dougados. Mais la rétroactivité de ces accords n’est pas garantie. D’autant que les partenaires sociaux pourraient se monter réfractaires à une telle négociation qui priverait, de facto, les salariés d’un abondement de leur CPF".

 

Deux options possibles

Pour celles qui décident de prendre le devant, deux options sont toujours possibles. La loi relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire maintient la période transitoire, instaurée par les ordonnances du 21 août 2019 et du 2 décembre 2020.

En pratique, outre la vérification que le salarié a bénéficié de tous les entretiens professionnels auxquels il avait droit sur la période considéré, l‘employeur peut donc choisir entre :

  • les anciens critères : le salarié a bénéficié au moins de deux des trois mesures suivantes : formation, acquisition d'éléments de certification et progression salariale ou professionnelle ;
  • ou le nouveau critère : le salarié doit bénéficier d'au moins une formation autre qu'une formation "obligatoire" au sens de l'article L. 6321-2 du code du travail.

Ce dernier critère s‘appliquera obligatoirement à partir du 1er octobre 2021. "Toutes les entreprises seront alors sur la même ligne", prévient Sabrina Dougados.

Pour Maxime Dumont, la révision de ces critères est "contestable" ; la "progression salariale (hors augmentation obligatoire) étant écartée". Mais pour Sabrina Dougados, "cette évolution ne constitue pas une échappatoire pour toutes les entreprises puisque dans certains secteurs, à l‘instar du bâtiment par exemple, les entreprises seront contraintes d’élargir leur plan de développement des compétences à des formations non obligatoires, peu présentes jusqu’ici dans leur catalogue".

 

Un arrêt de la cour d'appel de Paris sème le trouble

Reste que ces règles sont remises en cause par un arrêt de la cour d’appel de Paris du 2 décembre 2020. "Les juges ont fait une autre interprétation des textes, indique Sabrina Dougados. Selon cet arrêt, le fait que les entretiens n’aient pas eu lieu ne suffit pas à caractériser un manquement devant donner lieu au paiement de l’abondement dès lors que l’employeur démontre que le salarié a pu bénéficier par ailleurs d’une action de formation non obligatoire, d’une VAE ou d’une progression salariale ou professionnelle".

"Si l'employeur ne démontre pas avoir organisé ces entretiens, les éléments du dossier permettent d'établir que Monsieur H. F. a bénéficié d'une action de formation le 23 novembre 2015 et d'une progression salariale, en application d'un avenant du 1er octobre 2015. Dès lors, les conditions prévues par les dispositions ci-dessus ne sont pas remplies pour déclencher l'abondement de son compte personnel et c'est à bon droit que le conseil des prud'hommes l'a débouté de cette demande", constate la cour d’appel de Paris.

"Pour les juges, les conditions légales qui déclenchent l’abondement correctif doivent s’apprécier de façon alternative et non cumulative, ce qui revient finalement à vider de sa substance l’obligation légale de former telle qu’elle avait été repensée par le législateur en 2014, poursuit l’avocate. Cette décision est d'ailleurs en totale contradiction avec le questions-réponses du ministère du travail, daté de mai 2020." Le document de la rue de Grenelle précisant, en effet, que ces critères s’appréciaient de manière cumulatives et non exclusives.

De quoi semer le trouble auprès des responsables de formation. Un pourvoi en cassation a été déposé. Affaire à suivre !